Objectif 86 - mars 2017

Sans thé
mange cela bois the sityre
« Mange cela et bois du thé », une oeuvre lumineuse du moine japonais Sengai Gibon (1750-1837), réputé pour ses enseignements et ses écrits polémiques.


Certes, dans l'Histoire de la vigne et du vin, l'Asie ne semble jouer qu'un rôle mineur et la Vitis amurensis1 n'est qu'une anecdote exotique dans la longue lutte contre le mildiou. Pourtant, cette partie du monde n'est-elle pas diablement armée pour aimer cette boisson au vu des innombrables ressemblances que partagent vin et thé ? Mentionnons par exemple leur triple dimension : agricole, culturelle et civilisationnelle ; un goût qui varie selon le type botanique et le lien qui les unit à leur terroir. Les différences sont bien sûr tout aussi propices au débat. En premier lieu, le thé matérialise la feuille et le vin le fruit.
Il était donc normal qu'ils se rencontrent depuis des siècles. Les lettrés chinois, érudits, essayistes, poètes n'ont cessé de comparer la valeur du thé et du vin.
L'un de ses textes, Dialogue du thé et du vin, rédigé par Wang Fu, sous la dynastie des Tang2, appelée aussi « Âge du thé bouilli », fut retrouvé par le moine Wang Yuanlu en 1900 parmi les manuscrits de Dunhang3 et rapporté en Europe par le linguiste Paul Pelliot4.
Dans ce dialogue imaginaire, les deux boissons5 s'invectivent et vantent leurs mérites, avec élégance ou non :
« Boire le thé apporte [aux moines bouddhistes] la lucidité dans la conversation ! »
« Quand tu as soif, une seule coupe de vin suffit à nourrit ton énergie vitale ! »6
Lin Yutang7 conclut merveilleusement le débat dans son Art de vivre : « Du point de vue de la civilisation et du bonheur, aucune invention n'a été plus importante que le thé et le vin. »

1 Qui pousse dans une région au climat subarctique de l'Extrême-Orient.
2 La période de la dynastie Tang s'étend de 618 à 907. Elle est considérée comme un véritable âge d'or de la civilisation chinoise.
3 Documents datants du Ve au XIe siècle au Nord-Ouest de la Chine. Ils traitent essentiellement du bouddhisme mais aussi du taoïsme, du manichéisme et du nestorianisme.
4 (1878-1945) Aussi sinologue et tibétologue, parlant 13 langues dont évidemment le chinois classique. Il fit des manuscrits de Dunhang sa spécialité.
5 Bien sûr, par vin, il faut entendre « boisson fermentée souvent à base de riz ».
6 Wang Fu, Dialogue du thé et du vin, Paris, Berg International 2013 ; le manuscrit original est conservé à la Bibliothèque nationale de France, Fonds Pelliot, manuscrits chinois 2718
7 Célèbre esthète, érudit, professeur et romancier (1896-1976).
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