Objectif 87 - septembre 2017

Le sang de la vigne
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Le pressoir mystique, Bible moralisée, réalisée en plusieurs étapes (XIVe-XVe), Paris, BnF, ms. Fr 166, fol. 123V°. In : Michel Pastoureau, op. cit, p. 65.


C'est une évidence, la couleur du vin de messe se conçoit rouge, bien qu'il soit fort peu probable qu'un liquide carmin1 ait été servi au Christ au soir de la dernière Pâque. Au début de notre ère, le vin le plus consommé en Palestine était blanc, sucré, presque liquoreux et le vin blanc reste jusqu'au XVIIe siècle le vin par excellence. Mais le rouge évoque le sang et de fait, il est la  couleur archétypale du vin chrétien, même si on remplissait le calice liturgique de vin blanc ou de rouge coupé d'eau2. Symboliquement, il doit être rouge, comment sinon opérer la transsubstantiation, comment passer du vin au sang ? Ce sang de Jésus, rédempteur et salvateur, est représenté clair et limpide, car il n'est pas souillé par le noir des péchés3 et peu à peu, le christianisme se teinte de rouge et de sang. Les représentations de la Passion et de la crucifixion se multiplient. A la fin du Moyen-Âge apparaît même un étonnant thème iconographique, le pressoir mystique où coulent des flots de liquide pourpre : Jésus est figuré sous la vis d'un grand pressoir qui l'écrase comme du raisin. D'ailleurs, ne prête-t-on pas à Jésus les paroles suivantes : « Je suis la vraie vigne, et mon père est le vigneron »4 ? Il est secondé dans sa tâche par l'effeuilleur papal Benoît XVI, « moi, simple et humble travailleur à la vigne du Seigneur »5.
Ainsi, le Christ est associé à la vigne et au vigneron et c'est là une vraie révolution : après le monde romain qui déconsidérait le travail manuel, il est maintenant sanctifié . : « Orare et laborare »6 ! A contrario, son association au vin, boisson dionysiaque, festive, extatique, se retrouve lors de la Cène, des noces de Cana ou auprès de Lazare. A côté du pénible travail viticole, les plaisirs de la table ne sont pas boudés. C'est là tout l'esprit - et la lettre - des vendanges.


1 La couleur carmin, issu de la cochenille, se dit aussi « sang de Saint-Jean ».
2 Le sang du Christ devient si précieux que le concile de Constance (1418) entérine la limitation du vin de messe au profit du pain, le premier étant réservé aux plus solennelles fêtes et cérémonies.
3 Michel Pastoureau, Rouge : Histoire d'une couleur, Paris, Seuil, 2016.
4 Evangile de Jésus-Christ selon Saint-Jean, 15, 1.
5 Les premiers mots du pape Benoît XVI après son élection le 19 avril 2005, précédant la bénédiction Urbi et Orbi.
6 Prier et travailler, selon la règle de Saint-Benoît.
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