Objectif 88 - mars 2018

Semper aliquid
objectif88"Grillon (vers 1300-1310) : Richard de Fournival, Le Bestiaire d'Amour, Dijon, Bibliothèque municipale, ms. 526, fol. 21 v°. In : Michel Pastoureau, Le Bestiaire du Moyen-Âge, Paris, Seuil, 2011, p. 214. Comme la cigale, le grillon aime tellement manger qu'il en oublie parfois de mourir de faim selon l'imaginaire médiéval."

Si l'eau est « le liquide qui ne fermente pas »2, elle forme surtout avec le vin un binôme d'opposition fort, celui de nature et culture. L'eau ne connaît pas d'inventeur prométhéen, tandis que le vin est le fruit de la vigne et du travail de l'Homme. En effet, prestement chassé du jardin d'Eden, il avait été condamné par ces mots terribles : « A la sueur de ton front, tu mangeras ton pain »3 et le premier geste de Noé après le déluge fut de se retrousser les manches et de planter un vignoble. Cela partait sous de bons auspices : « Celui-ci (Noé) nous reposera de nos labeurs et de la peine qu'impose à nos mains le sol qu'a maudit le Seigneur »4 Après l'âge tendre, la gueule de bois  pour Noé et ses successeurs. Et le prophète Joël d'apostropher ainsi les buveurs de vin : «  Ce qu'a laissé la chenille, la sauterelle l'a dévoré ; ce qu'a laissé la sauterelle, le grillon l'a dévoré... » puis viennent les criquets et comme un malheur n'arrive jamais seul, les soldats d'une armée ennemie5.
A ces fléaux sporadiques la nature se mêle puisque l'agronome Columelle l'a bien souligné, « il y a toujours quelque chose qui porte atteinte aux vignes »6.
Prédateurs et aléas climatiques ne sont pas les seuls dangers.  Le Livre des Proverbes ne saurait passer sous silence l'Armageddon du raisin, c'est-à-dire le vigneron fainéant : « Près du vignoble d'un humain dépourvu de bon sens, je suis passé (...). Un peu de sommeil, un peu d'assoupissement, un peu croiser les bras en se couchant et elle vient, elle chemine la pauvreté ». On peut toutefois y remédier plus facilement qu'aux renards et aux sangliers7.
Le vin est ainsi un « paradis artificiel » puisque le travail pour l'obtenir conditionne l'accès au second. « Je serai le grain qui fertilise le sillon douloureusement creusé »8. A vos fossoirs donc.

1 [Il y a] « toujours quelque chose »... Chaque millésime ou presque apporte son lot de défis. Nous retiendrons le gel pour 2017.
2 Oddone Longo, in : Dominique Fournier, Salvatore D’Onofrio, Le Ferment divin, Paris, Editions de la Maison des Sciences de l'Homme, 1991, 35-46.
3 Genèse, 1, 17.19.
4 Genèse, 5, 29.
5 Joël, 1, 4-7.
6 « Semper aliquid, quod vineas offendat », qu'il a fait précéder d'un indolent « et pour m'éviter de passer maintenant en revue les mille torts causés par les intempéries ». Il l'avait fait pour l'essentiel au paragraphe précédent concernant les aléas climatiques qui nuisent aux vignobles. Columelle, De Agricultura, III, 20, 1-2.
7 Cantique, 2, 15 pour les renards et Psaume, 80, 14 pour les sangliers et autres bêtes des champs. La Bible n'est pas avare des périls qui font trembler le vigneron. Que n'eut-elle connu le phylloxéra !
8 Charles Baudelaire, « Vin et Haschisch », Les Paradis artificiels.
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