Objectif 89 - septembre 2018

Si haute que soit la montagne, on y trouve un sentier

"Le raisin et ses produits dérivés, le vin et le vinaigre, entrent dans la pharmacopée chinoise traditionnelle.
Jarre à vin, dynastie Ming, XVI^e siècle"

Le concept même d'un Nouveau monde implique de facto la présence d'un vieux et notre imaginaire vinicole nous ramène de suite à l'espace méditerranéen. L'Orient n'est toutefois pas passé à côté de la dive boisson et de nombreuses régions peuvent se prévaloir d'une consommation fort ancienne. Les catégorisations sont toujours commodes mais les fossés supposés ont permis toutes les nuances. Ainsi, le Gandhara1 est un magnifique exemple d'une rencontre fusionnelle entre « notre » méditerranée et un Orient considéré comme lointain. Cet état disparu, autrefois situé dans le nord du Pakistan² actuel, était un important carrefour des routes du commerce. Cela ne pouvait laisser indifférent Alexandre le Grand qui conquit la vallée du Swat³ en 327 avant notre ère. Le territoire fut plus tard contrôlé par les Kouchans qui favorisèrent l'expansion du bouddhisme. Il n'est donc pas si étonnant d'y avoir retrouvé comme vestiges archéologiques non seulement des bouddhas⁴ rappelant étrangement la statuaire grecque⁵ mais aussi des gobelets dans des espaces rituels et surtout des pressoirs à vin⁶. Tout cela nous démontre que la consommation de vin était plus qu'acceptable, elle était socialement appropriée. Le bouddhisme favorisa d'ailleurs l'arrivée de la viticulture au Japon⁷. Si on continue sur la route de la Soie jusqu'en Chine, on trouvera au pied du massif de Tian Shan l'entreprise viticole de Suntime qui compte tout de même plus de 10'000 hectares⁸. De l'autre côté du massif⁹, la situation est bien plus désertique et nécessite une irrigation importante. Quant aux hivers extrêmement froids, ils impliquent le chaussage total des vignes, quelquefois même la production de neige artificielle pour limiter le gel au sol¹⁰. Au Yunnan, près de la frontière sino-tibétaine, le choix a été fait de planter les vignobles en altitude : le Chardonnay et le Riesling poussent  aux alentours de 2800 mètres, tandis que les rouges préfèrent une situation plus chaude, entre 1800 et 2400, à peu près à la même altitude que les vignobles à Turija, en Bolivie, sur les contreforts de la cordillère des Andes¹¹. Dans la perspective du changement climatique, certaines régions envisagent de déplacer leurs vignobles à des altitudes plus élevés pour compenser le réchauffement probable. Peut-être pourrons-nous nous réjouir de compter de si belles montagnes en Suisse, « le Swat de l'Europe ».

1 Proverbe afghan.
2 L'Empire fut florissant du 1er siècle jusqu'à sa conquête par les Huns aux environs de 450.
3 Bassin de Peshawar.
4 Le district de Swat, avec ses hautes montagnes et ses lacs aux eaux limpides est une région d'une grande beauté autrefois surnommée « la Suisse du Pakistan ». Il compte aussi quelques pistes de ski.
5 Tout le monde a en tête les merveilleux bouddhas du Bâmiyân (centre-est de l'Afghanistan), représentants du style Gandhara, honteusement dynamités par les Talibans en 2001.
6 On parle de façon un peu réductrice d'art gréco-bouddhique depuis 1905 et Alfred Faucher.
Guimet : Le Guide des collections, Paris, Editions Artlys, 2012.
7 « Dionysos et son double dans l'art du Gandhara », Anna Filigenzi, XXVIe colloque de la villa grecque Kérylos, 9 et 10 octobre 2015, vimeo.com/146492397.
8 Le cépage emblématique du Japon, le Koshu, est d'ailleurs une vitis vinifera ayant transité sur la Route de la Soie via la Chine.

Des Vignes et des Hommes : quand la vigne sculpte le paysage, Véronique Lemoine et Henry Clemens, Bordeaux, Féret, 2017, 208 p.
9 Atlas mondial des vins : la fin d'un ordre consacré ? Paris, Editions Autrement, 2010, 80 p. Rappelons que la Chine est le 6e producteur et le 2e plus grand vignoble au niveau mondial (plus de 11% de la superficie totale) .
10 Le 5e relief du monde, classement qui compte l'Himalaya en première place et les Andes en deuxième.
11 Vignes et terroirs ; splendeur des paysages du monde, Joël Rochard, Paris, Editions France agricole 2017, 400 p.
12 Idem.