Objectif 90 - mars 2019

Don du vin, don divin
dionysos extatique sityre2"Dionysos en extase guide sa suite, Amphore à vin d'Attique, Staatliche Antikensammlung, Munich, photo de Christa Koppermann"

Moult traditions mythologiques n'attribuent pas la création du vin à un être humain, car la dive boisson ne saurait être d'origine aussi commune. Certes, dans la version babylonienne du déluge1, il n'est pas directement un cadeau du ciel mais le récit le présente déjà comme vecteur d'immortalité2.
En Egypte aussi, le vin est lié à l'immortalité. Sa principale divinité tutélaire est Osiris3, « Seigneur du vin et de la crue du Nil » et dieu de la vie après la mort, particulièrement compétent sur cette question puisqu'il est lui-même le premier dieu de l'Histoire à mourir et ressusciter4. Don divin, le vin est forcément une boisson associée au domaine sacré, aux funérailles et aux fêtes religieuses, à l'élite enfin.
Ces civilisations de la bière ne donnèrent pas toute son ampleur à la triade dieu-vin-humain, ce que fit la bachique Grèce. Quand Dionysos fit don de la vigne et du savoir y afférant au paysan Icarios pour le remercier de son hospitalité, l'histoire tourna au tragique : le néo-vigneron fit goûter le vin à ses collègues et ceux-ci en burent tant et plus qu'ils se crurent empoisonnés et l'assassinèrent5. C'est là pour les Grecs un caractère essentiel de ce breuvage qui mal contrôlé devient un fléau. Pour conserver sa maîtrise, il faut respecter un rituel strict de consommation, notamment le mélange des éléments vineux et aqueux, pratique qui nous étonne mais dont le non respect consterne les Grecs : à leurs yeux les buveurs de vin non coupé sont des barbares.
D'ailleurs le vin pur ne réussit pas non plus à Noé et à son ivresse6 car celui-ci ne sut pas se contenir, réinterprétant le péché originel. Pourtant, la vigne lui avait été donnée comme signe de l'alliance nouvelle. Un symbole fort logique. Le mot vin venant sans doute du sanskrit vêna qui signifie « aime » et vitis de l'indo-européen vieo, « nouer, courber ». Quoi de mieux qu'un verre de vin, donc, pour nouer des relations amicales.

1 L'épopée de Gilgamesh, traduction Abded Azrié, Paris, Berg International 2013 ; « la Genèse du déluge », Objectif 82, rubrique Patrimoine, mars 2015.
2 Hugh Johnson, Une Histoire mondiale du vin, Paris, Hachette, 1990, 478 p, p. 23.
3 Entre mille autres attributs, dieu du cycle de la végétation. Comme Dionysos, c'est un dieu civilisateur qui apprit aux Hommes à cultiver la terre. Par ailleurs, l'un et l'autre furent découpés en morceaux avant de « renaître ».
4 Son incantation rituelle stipule : « je suis la résurrection et la vie ». Le même propos est prêté à Jésus, dans une conversation avec Marthe (Jean, 11, 25) mais deux mille ans plus tard.
5 Apollodore, III, 14, 17 (Pseudo-Apollodore, Bibliothèque).
6 « Semper aliquid », Objectif 88, rubrique Patrimoine, mars 2018.
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