Objectif 93 - septembre 2020

Vigne nature, vigne culture
amphore giens sityreCulture de la vigne en hoyos sur l'île de Lanzarote


Les nombreuses crises de subsistance qui jalonnent l'Histoire ont partie liée au climat, même s'il fallut longtemps pour que les disciples de Clio s'y intéressent, dubitatifs de l'existence de documents fiables. Ils abandonnèrent donc la question aux travaux des climatologues, de leurs glaciers et autres dendrochronologies, négligeant des sources qui leurs étaient inaccessibles, car écrites en latin. C'est ici que les historiens revinrent dans la course1. Ils disposaient ainsi de deux indicateurs remarquables : la qualité du millésime et les dates de vendanges qui collaborent à l'établissement de longues séries thermométriques.

Ces observations climatiques sont parfois de troublants indices de crise à venir, quand elles n'en sont pas directement la cause. On peut s'amuser de la convergence des années de mauvaises récoltes et des Révolutions Françaises2, ou pleurer en lisant Les Raisins de la colère de John Steinbeck3, qui retrace la désespérance des métayers du Dust Bowl4 en Oklahoma dont les récoltes ont été détruites en pleine crise économique. Il n'y est toutefois pas question de vignerons et c'est la justice divine que symbolisent ces raisins.5

Il est difficile pour notre profession de rester insensible à une autre crise, celle du Languedoc au début du XXe siècle : en 1902 et 1903, les millésimes sont peu généreux et le prix du vin monte en flèche. En 1903, le gouvernement autorise la chaptalisation des vins étrangers6, non sans conséquence sur l'élaboration de « vins trafiqués ». Les deux années suivantes, les récoltes sont abondantes et corollairement, la mévente importante7. Cela conduira à la révolte des vignerons en 1907, appelée Révolte des Gueux. La Révolte du Midi en 19768 en est l'héritière9. Il leur avait bien été proposé de transformer cette région en lieu de villégiature, mais cela ne rééquilibrait pas le marché. Et aujourd'hui, le paysan assiste au triomphe de l'urbanité. Là où il voit dans la nature l'histoire de son travail, sa peine et sa fierté, d'autres n'en voit que le bien collectif, symbole de bonheur et de beauté10. Mais l'un n'existe pas sans l'autre, car notre nature est aussi (viti)culture11.


1 Emmanuel Le Roy-Ladurie, Histoire du climat depuis l'an mil, Paris, Flammarion, 2020, 676 p.
2 Respectivement 1788, 1828 et 1848 contre 1789, 1830, 1848.
3 Paru en 1939, Prix Pulitzer en 1940.
4 Littéralement, le bassin de poussière. Une région dramatiquement touchée dans les années 30 par une série de tempêtes de poussière favorisées par une mise en culture de terrains peu propices, pour tenter d'endiguer les conséquences de la Grande Dépression (1929-1939). Cet épisode est qualifié de crise écologique aussi bien qu'économique.
5 En référence à l'Apocalypse, 14-20, « Et l'Ange jeta sa faucille sur la terre, et vendangea la vigne sur la terre, et il en jeta les grappes dans la grande cuve de la colère de Dieu. »
6 Le mot d'oenotourisme n'était pas encore à la mode.
La production atteignit 69 millions d'hectolitres pour une demande inférieure à 50 millions.
8 Comités d'action viticoles, La Révolte du Midi, Mayenne, Les Presses d'aujourd'hui, 1976, 281 p.
9 « L'Histoire est un perpétuel recommencement » comme le dit Thucydide. C'est justement le port d'un ouvrage éponyme qui permet d'identifier Clio, la Muse de l'Histoire. Mais c'est bien Hérodote que l'on qualifie de Père de l'Histoire.
10 Jean Viard, Le Sacre de la Terre, La Tour d'Aigues, Editions de l'Aube, 2020, 483 p.
11 Notamment en Lavaux, célèbre pour la qualité de ses crus, la beauté de son paysage et ses remarquable données historiques de dates de vendanges attestant que dans la première moitié du XVIIe, on vendangeait entre le 20 septembre et le 10 octobre ; au XVIIIe, entre le 10 et le 30 octobre.
decofeuilles_gauche_2.png
decofeuilles_droite_1.png