Objectif 94 - avril 2021

« Il faut que tout change »...
amphore giens sityre« Port de Bordeaux » par Boudin Eugène Louis (1824-1898


 

Il est évident que le vin est un symbole de convivialité, un témoignage d'amitié et un symbole de croyance religieuse, mais il n'en a pas forcément l'apanage. En terme de boisson-totem2, difficile d'imaginer un Anglais sans sa cup of tea mais le café l'avait précédé de peu.3 Le petit noir fit sa place au sein des « cafés », lieux de rencontre et de sociabilité entre hommes4. Certes, on devait le servir sucré, pour masquer son amertume5, mais cette boisson, ainsi que ces consoeurs exotiques thé et chocolat6, étaient une concurrence au Clairet, mélange de blanc et de rouge, qui formait 80% de la production bordelaise au XVIIe siècle.

 

L'appétence anglaise pour le sucre n'est pas le seul défi que dut relever la viticulture.
Face aux maladies qui altèrent les vins et donc grèvent les revenus que l'on peut en tirer, Napoléon III charge en 1863 Louis Pasteur de trouver un remède.7 Le « père de l'oenologie moderne » s'appuie sur les travaux de Chaptal8, ce roi de l'application chimique pratique qui avait inventé la chaptalisation, non pour augmenter la teneur en alcool des vins mais pour permettre la disparition complète de certains ferments. Les travaux pasteuriens affineront la connaissance de cette transformation9 et aboutiront à la pasteurisation, vite exclue du panthéon de l'oenologie, fût-elle moderne. Les chimistes surent se plonger dans les problèmes que rencontraient les vignerons, ouvrant la voie aux oenologues : répondre à des préoccupations, trouver des solutions.

 

Ceux-ci sont confrontés aujourd'hui au less is more, quand le haut du palmarès semble être surgi de la terre presque sans artifice ou avec un intervention humaine moindre. Cela se fera sans doute « en ne négligeant pas les pratiques traditionnelles, mais en les modernisant ».10 Et pour ce faire, comme le disait Alexandre Yersin à un jeune garçon peu appliqué à l'école : « Apprendre et apprendre encore, pour comprendre et protéger la vie... »11


1 ... « Pour que rien ne change ». Telle est la morale du Guépard du Marquis de Lampedusa. Pour les cinéphiles, la version de Visconti est un must.
2 Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957, chapitre sur le vin et le lait.
3 Thé et café - ainsi que leur comparse le sucre - débarquèrent en Grande-Bretagne au milieu du XVIIe siècle.
4 James Walvin, Histoire du sucre, histoire du monde, Paris, La Découverte, 2020, 285 p.
5 Due notamment à la mauvaise qualité de la torréfaction de l'époque.
6 Toutes boissons à polyphénols.
7 Pascal Ribéreau-Gayon, L'Histoire de l'oenologie à Bordeaux, Paris, Dunod, 2011, 332 p.
8 Jean-Antoine Chaptal (1756-1832), se basant lui-même sur les travaux du « père de la chimie moderne », Antoine Lavoisier (1743-1794). Que de figures paternelles, dont Louis Pasteur (1822-1895) !
9 Communément appelée fermentation.
10 Lydia Bourguignon, Claude Bourguignon, Emmanuel Bourguignon « Vers une agriculture (viticulture) durable par le développement de l'agroécologie », Revue des Oenologues n°177, 2020, 20-23
11 Alexandre Yersin (1863-1943), le pasteurien né dans la région lémanique (Aubonne), découvreur du bacille de la peste, la Yersinia pestis, à Hong Kong en 1894.
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