Objectif 79 - août 2013

Des goûts et des couleurs
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Notice de l'illustration : Après Galien, la médecine
byzantine est la digne héritière d'Hippocrate,
représenté ici chevauchant le Simurgh, oiseau fabuleux
de la mythologie perse. Marc Lagrange, La médecine
et le vin, Bordeaux, Féret, 2012. p. 43

Le vin délie la langue comme l'analyse dénoue un problème. D'ailleurs, l'origine étymologique de l'analyse est le verbe grec signifiant délier1 . La Grèce nous offrit aussi Epicure2 et sa pensée. Dès lors, ce n'était qu'une question de temps pour que se développe une science de la dégustation. C'est à un Grec de Turquie, Galien3 , que nous devons un véritable petit manuel expliquant que le vin doit être dégusté (analysé sensoriellement) selon 5 critères : couleur, consistance, saveur, odeur et force. « Selon la saveur, les vins se répartissent en doux et astringents, avec bien évidemment là aussi un moyen terme entre les deux pôles, qui n'a pas une qualité nette. En plus de ces derniers, il y a les vins qui combinent ses deux saveurs et enfin il y a la saveur que l'on appelle drimus »4 .

Le terme drimus pose quelque problème au traducteur moderne. S'il signifie à proprement parler piquant, cette notion mérite d'être explicité au niveau gustatif. Il ne s'agit ni de l'acidité ni de l'amertume et il tend plutôt à rapprocher les vins antiques des vins de Jerez. On ajoutait volontiers lors de la vinification du fenugrec, qui contient une quantité importante de sotolon5 . La notion de vin piquant s'est perdue en français mais on la retrouve dans l'espagnol puzante (piquant) qui est employé pour caractériser les arômes des vins de voile de Jerez. Plus simplement, ce terme de drimus ferait référence à l'alcool puisque ces vins antiques subissait peut-être une évaporation différentielle et corollairement une augmentation de leur degré alcoolique dans les conditions de conservation de cette époque6 , y gagnant ainsi en force. Il semble en tout cas que ce terme ne vaudrait que pour les vins d'un certain âge7 . Quant au reste, les critères de Galien ont conservés toute leur pertinence pour nos crus actuels.

1 Analysis (dans sa transcription en alphabet latin) de ana- « en haut » et -luein « relâcher »
2 Epicure, né en 341 avant notre ère, est mort en 270, dans sa baignoire, probablement à cause de calculs rénaux. Sa dernière volonté fut un verre de vin pur avant de prodiguer ses ultimes conseils à ses disciples.
3 Né à Pergame en 129 après Jésus-Christ. Il a eu une influence considérable sur toute la médecine chrétienne, juive et musulmane du Moyen-Âge, moins pour son vif intérêt envers la chirurgie invasive que pour sa pharmacopée. Le serment de Galien est en effet le serment d'Hippocrate des pharmaciens.
4 « Commentaire au traité d'Hippocrate Du régime des maladies aiguës », Edition Kühn, XV, Leibzig, 1828 ; cité par André Tchernia, Le vin romain antique, Grenoble, Glénat, 1999.
5 Molécule découverte par les Japonais et dont le nom signifie « énol de la mélasse » ; on en trouve aussi dans le vieux saké et le tabac séché. C'est une façon commode pour exprimer un hydrocarbure insaturé comprenant une double liaison covalente entre deux atomes de carbone (un alcène) et comportant une fonction alcool. On gagne en poésie ce qu'on perd en précision, deux qualités indispensables à l'oenologue...
6 Si les amphores avaient l'intérieur poissés et donc étanche à l'air, son bouchage était moins hermétique. Il s'agit dès le deuxième siècle avant notre ère d'un bouchon de liège recouvert de pouzzolane, qui est un mélange de tuf volcanique meuble et de chaux... donc un ciment très dur mais poreux.
7 André Tchernia « Archéologie expérimentale du vin romain », Colloque « Vigne et vin en Valais, jalons pour un ouvrage de référence », 25 novembre 2005.
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