Objectif 95 - août 2021

Terroir is bullshit !
amphore giens sityre« Port de Bordeaux » par Boudin Eugène Louis (1824-1898


 

Un terroir à vigne serait avant tout une terre qui n'est pas à blé et proche d'un marché de consommation. Des vignobles devaient donc forcément se développer aux alentours de Paris, dans des proportions difficiles à imaginer aujourd'hui.

Argenteuil comptait à son apogée 3000 hectares de vignes et produisait un petit vin à base de Gamay qui faisait le bonheur des Parisiens en goguette à l'ombre des figuiers. A Montreuil, on complantait la vigne avec des pêchers et à Montmorency des cerisiers1.

Ces compagnonnages n'ont rien d'étonnant. La vigne est née liane et a su s'attacher à toute plante avoisinante pour s'élever vers la lumière. Ce n'est que dans de très rares cas que le vigneron a affranchi la vigne d'un support, comme à Santorin. Il a préféré s'inspirer de la nature et cultiver la vigne sur des arbres vivants ou morts, que sont nos échalas.

Les deux types de culture ont rapidement cohabité : l'origine de la culture arbustive serait étrusque et celle sur tuteur inerte gréco-orientale2, reposant sur la frontière pédoclimatique des vignobles à climat méditerranéen sec et la culture viticole en zone forestière. Ajoutons qu'un domaine bien doté en capitaux et main d'oeuvre faisait le choix de la monoculture et le petit paysan celui de la complantation et des cultures associées.

Cette diversité fut mise à mal par le phylloxéra puis par la mécanisation, mais avant cela, la pratique de la culture en hautains était décriée. Pour Olivier de Serres3, tout arbre nuit à la vigne. Les agronomes romains sont eux aussi critiques et vigilants sur cette pratique. Saule et peuplier figuraient en bonne place. Il est vrai que les Romains plantaient leurs vignes en sols alluviaux et humides et les plus grands crus provenaient de ces situations somme toute assez proches du milieu primaire de la lambrusque, une forêt alluviale où la vigne s'ébattait sur ces voisines. Grands maîtres du drainage, les Romains asséchaient ainsi par les racines les sols trop humides. Le Cécube a pu ainsi s'épanouir dans une zone marécageuse du Latium. Un grand cru de palus en somme et si la Gironde a tiré de ce type de situation un vin léger de coupage pour le Médoc, les Romains en firent l'un de leurs plus grands crus.


1 Léa et Yves Darricau, La vigne et ses plantes compagnes, Rouergue, 2019, 185 p.
2 Hugh Johnson, Une Histoire mondiale du vin, Paris, Hachette, 1990, 478 p.
3 Pierre Dubuis, « Les amis et ennemis de la vigne chez deux agronomes de la Renaissance : Charées Estienne et Olivier de Serres », Vigne et Nature en Valais, Anne-Dominique Zufferey-Périsset (dir.), Infolio, 2020, 287 p, 165-175.
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