Objectif 98 - mars 2023

Cachez ce Saint que je ne saurais boire
amphore giens sityre Vie de saint Martin : songe de saint Martin (XIIIe siècle)


Si Dionysos évoluait en liberté, entouré de sa thyase de satyres et de ménades, le christianisme a drastiquement resserré les rangs, allant jusqu'à comprimer une trinité dans un corps monothéiste.

Toutefois, ce n'est pas moins d'une trentaine de Saints qui ont accompagné les gens du vin au cours des siècles et tel le colibri, chacun faisait sa part : saints patrons des tonneliers, des déchargeurs de vin, des marchands , des inspecteurs... Aucun secteur n'était omis. A côté de ces Saints spécialisés trônait Saint-Vincent1, d'abord cantonné au mois de janvie, puis généraliste de toute la vie vitivinicole. Son patronyme le prédisposait à la fonction, entre « vin-sang » et « vin-cent (barriques) ».

Saint-Urbain2, qui marque la fin des dangers de gel avait aussi ses arguments, lui-même vigneron et fils de vigneron. Quant à la Saint-Denis3, on récolte si ce n'est les fruits de la vigne, du moins les fruits de son travail puisqu'à l'époque mérovingienne se tenait à cette date les importantes foires d'automne. Il doit son prénom théophore à Dionysos himself.

Quand le vin est tiré, il faut le boire, comme à la Saint-Martin4 pour fêter le vin nouveau dont les libations5 accompagnent le cochon dont tout est bon. On attribue à son âne d'avoir révélé les secrets de la taille courte6. Cela valait bien d'attribuer le 15e jour du mois révolutionnaire vendémiaire7 à cet animal aux longues oreilles, en remerciement du travail décisif de la taille débutée à la Saint-Vincent, car le vigneron est par définition, avant tout celui qui sait tailler la vigne. A Rome, on n'offrait pas aux Dieux le vin d'une vigne non taillée car dans l'Antiquité, l'art de la taille apportait le sentiment de s'élever en dignité.

1 Le 22 janvier. Saint-Vincent de Saragosse est un martyr d'origine espagnole au début du IVe siècle. Les tortures subies le broyèrent tel le raisin sur le pressoir selon la légende. André Deyrieux, 50 jours pour comprendre autrement le vin, Paris, Ellipses, 2019, 186 p.
2 Le 25 mai. Roger-Paul Dubrion, La météorologie des Anciens, Paris, l'Harmattan, 2018, 253 p.
3 Le 9 octobre. André Deyrieux, Le calendrier perpétuel de la vigne et du vin, Paris, Ellipses, 202, 204 p.
4 Le 11 novembre. Evelyn Malnic, Le vin et le sacré, Bordeaux, Féret, 2016, 176 p.
5 Le verbe « martiner » signifie d'ailleurs « se goberger et s'arsouiller », soit manger et boire plantureusement. On parle aussi du « Mal de la Saint-Martin » comme synonyme d'ivresse.
6 Ou selon une autre tradition, l'âne de Saint-Vincent.
7 Le 6 octobre, du latin vindemia, « vendanges ». L'éphèmere calendrier républicain commençait l'année par le mois de vendémiaire. Le calendrier grégorien qui la fixe au 1er janvier ne date « que » de 1582.
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