Objectif 99 - août 2023

Cocorico, vraiment ?
amphore giens sityreTonneaux et navigation fluviale sur le linteau de la porte de la chapelle Saint-Pierre à Colonzelle, Drôme, in Bernard Daugréaux, Le Rhône et le vin, Paris. Glénat, 2002, p. 41


 

Le cintrage du bois à chaud est connu, si ce n'est depuis Mathusalem, du moins par de lointaines et glorieuses civilisations qui nous ont précédé, comme les Egyptiens, les Phéniciens et les Celtes pour leurs bateaux. L'antériorité de l'utilisation de cette technique pour la confection de récipients vinaires ou la parentalité de l'invention ne sont pas certaines. Il est avéré que les Grecs n'avait pas recours aux barriques1 et les Romains ne sont pas non plus une hypothèse recevable. Leur grand encyclopédiste Pline l'Ancien2 passe pour avoir attribué au moins son premier usage aux Gaulois. En fait, son texte dit exactement « Autour des Alpes, on conserve [le vin] grâce à des récipients en bois et on [les entoure] de fer. »3 La Gaule n'est donc pas loin4 et à l'extrêmité orientale de cette Gaule, se trouvent « nos ancêtres les Helvètes ». Il ne s'agit toutefois bien sûr des seuls habitants alpins : les Rhètes occupaient la région des Grisons5. Ils jouaient un rôle d'intermédiaire entre les peuples celtiques gaulois et cette plaine du Pô contrôlée par les Etrusques, eux-mêmes remarquables vignerons : « Parmi les vignes, il faut admirer celles de la région étrusque, (...) capables d'offrir avec un moindre travail, des produits à la fois abondants et excellents. »6

Nous avons donc plusieurs candidats qui pourraient se réclamer de l'invention du tonneau7. Les attestations littéraires nous en donnent une image gauloise mais l'on peut s'interroger si son usage originel concernait la bière ou le vin. Quant aux Etrusques, ils peuvent revendiquer la source iconographique la plus ancienne : une peinture murale funéraire figurant un tonneau. Les découvertes archéologiques de la région rhétique8 nous montrent une civilisation du vin : serpettes, services à vin mais aussi restes de douelles. L'ensemble des douelles retrouvées indique que les essences utilisées sont très majoritairement des conifères, bien plus alpins que le chêne9.

Dans tous les cas, la généralisation du tonneau aux dépens de l'amphore se fit graduellement et la vinification en fut transformée elle aussi10. L'amphore hermétique et les adjonctions de résine laissèrent la place au bois poreux et peu à peu, le soufre vit son emploi s'étendre.


1 Les tonneaux des Danaïdes ou de Diogène sont plus erreurs de traduction que vérités archéologiques.
2 Premier siècle de notre ère (23-79)
Circa Alpes ligneis vasis condunt circulisque cingunt (XIV, 132)
4 Elle regroupe en fait un ensemble de peuples celtes habitant un espace géographique peu ou prou déterminé par Jules César.
5 Les Grisons ainsi que le sud et l'est du Tyrol autrichien, le Trentin, les Dolomites et le Frioul. Il s'agit d'un peuple non celtique, non indo-européen, peut-être apparenté aux Etrusques.
6 Denys d'Halicarnasse (60 avant notre ère – 8 après Jésus-Christ). Cité par Paolo Giulio et Béatrice Macci, « Le Vin des Etrusques », in : Nectar des Dieux, Génie des Hommes, Gollion, In Folio Editions, 2004, pp.100-101
7 CERVIN (sous la coordination de Sandrine Lavaud), Bordeaux, Féret, 2012, 286 p.
8 Marguerite Gagnieux, « Retica, le vin des Rhètes » in : Nectar des Dieux, Génie des Hommes, Gollion, In Folio Editions, 2004, pp.100-101, pp. 229-230.
9 Jean-Paul Lacroix, Bois de la tonnellerie : de la forêt à la vigne et au vin, Chartres, Gerfaut, 2006, 149 p.
10 Arnaud Immelé, « Le soufre en viticulture et oenologie : symptôme d'une trajectoire folle et ambivalente », Revue des Oenologues, Dossier spécial, n°173, novembre 2019, pp.11-12.
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