Objectif 77 - août 2012

L'eau, la vigne et les hommes1
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Mosaïque romaine représentant les vendanges d'une vigne en Pergola,
exposée au musée archéologique de Cherchell.

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La vigne et la Méditerranée sont intimement liées et malgré quelques désaccords culturels, le vignoble a prospéré sur la côte algérienne. Il a su se plaire notamment dans le climat semi-aride de l'Oranie2 . En année sèche, les rendements sont plus faibles, mais en comparaison, celui du blé est nul. D'ailleurs, ce dernier a été chassé par la vigne, avide de nouveaux territoires après l'arrivée de l'oïdium, du mildiou et du phylloxéra en France métropolitaine. Elle finira par compter 400'000 hectares pour des bénéfices huit, dix, quinze fois supérieurs à celui des céréales. Il était tentant d'irriguer ces vignes lors de périodes caniculaires3  mais une loi l'interdira  en 1931.

Par contre, si la vigne sait être sobre comme un chameau, ce n'est pas le cas des vignerons4 . Les besoins en eau des caves étaient énormes, indispensable au refroidissement des locaux et à la survie des levures, dans un pays où les rivières, les oueds,  sont peu nombreuses et presque toutes à sec en été. Les cabanons avec eau courante que ces vignerons s'étaient fait édifier sur les plages n'ont fait qu'attiser le ressentiment de la population.

Quand les ressources se font rares, des priorités sont fixées. Le fameux domaine de Kéroulis5 , la plus grande entreprise viticole d'Algérie, n'hésitera pas longtemps à couper l'approvisionnement en eau du douar6  voisin au profit de ses caves en 1957, suite à un été particulièrement ardent. Chez l'humain, quand un de ses facteurs de croissance vient à manquer pour des raisons non volontaires (comme des motivations d'ordre religieux ou mystique), cela provoque un sacré ramdam7 , ce sera la guerre d'indépendance.

  1. En référence au livre de Michel Launay, Paysans algériens : la terre, la vigne et les hommes, Paris, Seuil, 1963, 431 p.
  2. La région bénéficie d'une pluviométrie comprise entre 350 et 600 mm par an.
  3. Si les précipitations à Alger atteignent 750 litres annuels, les mois de César et d'Auguste (juillet et son successeur) n'en récoltent que 6 avec des journées de plus de 40°C de mai à août.
  4. 90% du vignoble algérien est dans les mains de colons français. Ceux-ci possèdent des domaines de 21,7 hectares en moyenne tandis que les viticulteurs « indigènes » n'en travaillent que 2,7.
  5. Fondé en 1919, il comptait 2300 hectares dont 1350 de vignes. Il fit créer une commune à son nom dont le maire n'était autre que... le directeur du domaine.
  6. Un douar est en Algérie une division administrative rurale. Duwwar signifie en arabe maghrébin « campement de tentes en cercle ».
  7. Le mot ramdam vient de ramadan et fait référence aux agapes nocturnes parfois bruyantes de cette période, lorsque le jeûne, volontaire celui-ci, est rompu.
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