Objectif 70 - mars 2009

Parenthèse sulfureuse

070 1"Statue de Lucuis Uinius Moderatus Columella", dit Columelle, célèbre agronome romain du 1er siècle après Jésus-Christ, sur la Plaza de la Flores, à Cadix, sa ville natale, en Hispanie Bétique (aujourd'hui Espagne)


«De toutes les appellations de vin, la meilleure est celle qui peut se conserver sans apprêt, et qu’il n’y faut absolument rien mêler qui altérerait sa saveur naturelle»1. Ce n’est jamais à la légère que Columelle se lit: un des plus grands agronomes de l’Antiquité, convaincu que la vie à la campagne est la seule conforme à la morale et à la justice, un économiste crypto—physiocratique qui veut sortir l’Italie de la crise de sous-production due à une inadéquation des moyens de production qu’elle connaissait au Ier siècle de notre ère, un adepte du pragmatisme qui tient au retour sur investissement, ce qui confère à ses exhortations une acuité dénuée de romantisme puisqu’il ajoute «que le moût se conserve, ou au moins, puisse durer jusqu'à la vente»2. Et pour ce faire, Columelle  nous propose l'adjonction  des ingrédients suivants3:
  • Le defrutum, un moût fortement réduit par ébullition. On pouvait aromatiser ce moût au coing, au rhizome d’iris, au fenu grec et à l’herbe à chameau4;
  • Le gypse pour clarifier et acidifier;
  • Le sel, pour combattre le mucor, la maladie de la graisse. Il éviterait aussi l'acétification, colporte le chroniqueur mondain Plutarque5.

Si le Moyen-Âge diminue l’apport d’herbes et d’aromates, l’Allemagne prussienne autorisera dès 1487 le brûlage de copeaux de bois soufré dans les tonneaux6. La pasteurisation des vins sera abandonnée à l’époque de la crise phylloxérique (peut-être pas ad aeternam selon L'église, hétérodoxe7). Enfin, les pères - influents - de l’oenologie moderne (Ribéreau - Gayon  et Peynaud pour ne pas les citer) améliorèrent l’emploi du soufre par un usage beaucoup plus méthodique. Ainsi mieux contrôlé, il devint plus efficace à des doses moindres.  «O temps, ô moeurs» aurait  dit Cicéron8. Chaque époque a cherché sa réponse au difficile problème de la conservation du vin. Ne doutons pas qu’il en existe d’autres, ce qu’un certain prix Nobel de littérature9 aurait sans doute exprimé ainsi: «le S02 est la pire des solutions, si l’on excepte toutes les autres». 

1 Columelle, II, 19, 2
2 Columelle, ll, l9, 3 
3 Columelle,. Xll, 2l
4 André Tchernia et Jean-Pierre Brun,  Le vin romain antique, Grenoble. Glénat, I999 
5 Plutarque, Moralia, 914e
6 Hugh johnson, Une histoire mondiale du vin. Paris, Hachette, 1990, pp. l7l sqq. 
7 Max Léglise, Les méthodes biologiques appliquées à la vinification et l'oenologie. Paris. Le Courrier du livre. 1995. tome ll. p.55 
8 in Catilinaires I. 1 et Verrines 25, 26 
9 Sir Winston Churchill reçut le prix Nobel de littérature cn 1953.
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