Objectif 84 - mars 2016

Capitaliser sur sa Fortune
objectif84"Peinture murale en détrempe sur plâtre de Pau Boada Y Mercader (1910-1975) exposé au Musée du Vin de Villafranca del Penedes (Catalogne).



Les étapes incontournables de la mise en place d'une industrie vitivinicole puissante sont connues : il faut tout d'abord acquérir des terres, puis organiser son réseau de caves, enfin mettre en place la commercialisation de ses produits1. Acquérir des terres ne nécessite que deux choses : l'argent, bien sûr, et des conditions historiques favorables. L'Espagne connut au cours de sa révolution libérale un désamortissement des terres, c'est-à-dire la vente des biens de l'Eglise et des municipalités, mettant sur le marché – et à bon prix – quantité de terres agricoles. Une aubaine pour Francisco de Las Rivas Y Ubieta2, fils de paysans basques au XIXe siècle, qui avait su amasser une fortune, en tant que commerçant, spéculateur, banquier... Echaudé par la crise bancaire de 1848, il se tourne vers l'industrie vinicole et acquiert rapidement près de 35'000 hectares. Son choix d'implantation dans La Mancha ne doit rien au hasard. La région est idéalement située entre Madrid, l'Andalousie et le Levant. Dans les années 1860, c'est la construction d'une ligne de chemin de fer majeure dans cette zone. Au nord, donc, un marché à approvisionner et au Sud, des ports qui lui ouvrent grand le marché international. Il profite surtout d'un contexte historiquement très favorable pour le vin ibérique. Les crises de l'oïdium et du phylloxéra en France3 dopent la demande en vins d'Espagne.

Si son successeur développe encore l'affaire, la troisième génération préfère la vie mondaine parisienne et démantèle peu à peu l'immense domaine4. Il faut dire aussi qu'au sortir de la Grande Guerre, le marché connait une profonde reconfiguration et un changement de paradigme5. Le monde se fragmente en économies nationales fermées. Plusieurs marchés d'importance ferment leurs portes, telle la Russie devenant l'URSS en 1922. Peu avant6, c'est le Congrès américain qui instaure la prohibition. Ironique mouvement de balancier, c'est quand les frontières s'ouvrent que la situation se complique pour les crus helvètes.

1 La construction de la grande propriété viticole en France et en Europe (XVIe-XX siècles), Marguerite Figeac-Monthus, Stéphanie Lachaud, Bordeaux, Féret, 2015, 256 p.
2 « Entre les finances et la vigne : l'empire vinicole du Marquis de Mudela de la Mancha », Agel Ramon del Valle Calzado, op. cit., 29-44
3 En effet, en France, l'oïdium fait passer la production de vin de 45 millions d'hectolitres en 1850 à 11 millions en 1854. Dans les années 1880, le phylloxéra fait chuter de près de 50% la production. Economie et management du vin, Jérôme Gallon, Steve Charters (dir.), Paris, Pearson France, 2014, 261 p.
4 L'arrivée du phylloxéra dans la Mancha en 1918 n'étant peut-être même pas le pire fléau.
5 Vendre le vin de l'Antiquité à nos jours, Sandrine Lavaud (coord.), CERVIN (Centre d'études et de recherche sur la vigne et le vin), Bordeaux, Féret, 2012, 286 p.
6 Le 16 janvier 1920, avec le vote du 18e amendement.

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